Pourquoi tout le monde parle de l’art contemporain africain ?
Florissant, croissant, essor fulgurant … tels sont des mots que l’on entend lorsque le sujet du marché de l’art contemporain africain est évoqué. La hausse des résultats des ventes aux enchères est, bien évidemment, l’une des raisons, mais ce n’est pas tout. De plus en plus d’artistes africains obtiennent des expositions individuelles, de nouvelles foires d’art africain voient le jour, des musées élargissent leurs collections et organisent des vernissages pour des artistes africains, et de nouveaux musées de l’art contemporain africain ouvriront leurs portes bientôt.
Tout ceci est en train de donner une très grande visibilité à l’art contemporain africain en Europe et aux États-Unis ainsi qu’en Afrique, où des initiatives sont en cours visant à construire un marché et un écosystème locaux, permettant de maintenir cette dynamique dans la durée.
Les ventes aux enchères.
Ayant décidé que Bonhams ne doit plus avoir le monopole sur ce marché en plein essor, Sotheby’s lancera sa première vente d’art moderne et contemporain africain en mai 2017. Hannah O’Leary, qui est à la tête du nouveau Département d’Art Moderne et Contemporain d’Afrique chez Sotheby’s après dix ans dans un poste similaire chez Bonhams, dit que le but est de miser sur “cet énorme potentiel inexploité” et d’établir “un profil important dans ce domaine.” Cette décision de Sotheby’s indique sa forte conviction que ce marché est loin d’avoir atteint son sommet.
Les résultats globaux des quatre ventes d’art africain de Bonhams en 2016 n’ont rien fait pour ébranler cette conviction. Par exemple, leur vente “Africa Now – Modern Africa” à Londres le 25 mai 2016 a rapporté un total de plus de 2 millions de livres, soit le double de l’année précédente, avec plusieurs nouveaux records. Le top 10 des lots vendus était des œuvres de Ben Enwonwu, El Anatsui, et Yusuf Grillo, vendues entre 50 000 et 218 500 livres, soit le double, voire le triple de leurs estimations.
Des prix bien plus élevés, parfois supérieurs à un million de dollars, payés pour des œuvres d’artistes reconnus tels que El Anatsui, Julie Mehretu et William Kentridge, à côté de celles d’autres artistes contemporains connus, deviendront également monnaie courante.
Au cours des quatre dernières années, la valeur de l’art africain a augmenté de 200 %, et les ventes aux enchères d’art moderne et contemporain africain au niveau mondial ont totalisé 22,6 millions de dollars. En 2016, les ventes d’art contemporain africain ont augmenté de 20 % environ.
De tels chiffres pourraient également tenter Phillips à entrer dans le jeu. Arnold Lehman, ancien directeur du Brooklyn Museum (connu pour l’importance qu’il accorde à l’art contemporain africain), s’est rendu en Afrique du Sud en mission de reconnaissance pour leur compte.
De plus petites maisons de vente aux enchères profitent également de ce marché. En France, Piasa organisera sa troisième vente d’art contemporain africain, “Origins and Trajectories”, à Paris, le 17 novembre 2016, présentant les œuvres de 50 artistes africains et mettant en relief leur avant-gardisme plutôt que “l’altérité” de l’art africain. Aspire Art Auctions, une nouvelle maison de vente installée à Johannesburg et spécialisée en art historique, moderne et contemporain, tiendra sa première vente le 31 octobre de cette année, avec des œuvres d’artistes africains émergeants et établis. Fondée en réponse à la forte croissance du secteur artistique en Afrique du Sud, Aspire ouvrira un bureau à Cape Town au mois de novembre et tiendra sa première vente là-bas au mois de mars 2017.
Les foires d’art.
Il y a eu de nombreuses premières dans le milieu des foires d’art en 2016.
À l’Armory Show, qui a eu lieu à New York du 3 au 6 mars 2016, “Focus : African Perspectives a été consacrée au “développement artistique et des récits multiformes d’artistes africains et de la Diaspora.” C’était la première fois que cette partie de la foire, dont la participation est sur invitation, mettait en lumière l’art de l’Afrique subsaharienne, avec huit des 14 artistes représentés par des galeries africaines, parmi lesquelles Blank Projects, Whatiftheworld et Smac de Cape Town, qui ont participé en présentant des expositions individuelles.
La quatrième édition de la 1:54 Contemporary African Art Fair a eu lieu à Somerset House à Londres début octobre, suite à la seconde 1:54 de New York en mai 2016. Servant de vitrine à plus de 130 artistes, à la fois nouveaux et connus, et de 40 galeries (16 d’entre elles basées en Afrique), cette édition de la foire était trois fois plus grande que la première. Cette représentation plus conséquente a aidé à atteindre l’un de ses objectifs : montrer qu’il n’y a pas une seule “esthétique africaine”, mais plutôt une multiplicité de visions artistiques et des formes d’expression, essentielles au maintien de l’intérêt pour l’art contemporain africain. Alors que moins de galeries sud-africaines se sont déplacées cette fois à Londres, cinq galeries d’Afrique du Nord étaient présentes, un nombre relativement important pour un événement international. Des galeries du Ghana, d’Éthiopie et d’Égypte figuraient parmi les 17 qui participaient pour la première fois.
Prochainement à Paris, qui cherche à rivaliser avec Londres comme la Mecque de l’art contemporain africain, se tiendra AKAA (Also Known as Africa). C’est la première foire d’art consacrée à l’art contemporain et au design africains organisée dans la capitale française. Vingt-neuf galeries représentant quelques 115 artistes ont été invitées à participer à cette édition inaugurale, qui aura lieu du 11 au 13 novembre 2016. Des poids lourds tels que Galerie Vallois (Paris), October Gallery (Londres), ArtCo (Allemagne) et l’Atelier 21 seront là ainsi que Galerie 127 (Marrakech) et First Floor Harare (Zimbabwe), qui sont souvent présentes aux foires internationales.
Victoria Mann, fondatrice et directrice d’AKAA, explique que le milieu de l’art en Afrique a toujours été compris d’après des discours occidentaux. Elle insiste, cependant, que les origines de l’art africain ne définissent pas nécessairement les liens avec l’Afrique. AKAA voit l’Afrique comme “fluide, avec des artistes et designers qui travaillent à l’intérieur et à l’extérieur de [ses] frontières … tous contribuant à cette fluidité.” Cette notion de “fluidité” s’applique également à l’interaction entre les arts et le design, une symbiose fertile, révélée par la présence de ce dernier dans cette foire.
Les biennales en Afrique, comme celles à Casablanca, à Dakar, à Kampala et à Bamako, grandissent et améliorent leur réputation, et la liste de foires d’art en Afrique se rallonge.
FNB Joburg Art Fair a eu lieu début septembre 2016, avec 90 galeries et organisations venues de 17 pays africains et européens ainsi que des États-Unis. Loin d’être une nouvelle venue – c’était sa neuvième édition – elle a mis en avant pour la première fois l’Afrique de l’Est, avec des œuvres d’artistes de grande renommée du Burundi, du Kenya, de Rwanda, d’Éthiopie, de la Tanzanie, d’Ouganda, de la Somalie, du Soudan et, bien sûr, de l’Afrique du Sud. Il convient également de noter que FNB Joburg a fait un grand effort cette année – et avec beaucoup de succès – pour se distinguer et relever le défi lancé par la Cape Town Art Fair, dont le but est de devenir, avec le soutien de sa société mère Fiero Milano, grand spécialiste en expositions, l’événement le plus important dans son genre en Afrique du Sud et sur le continent.
On peut noter aussi qu’un nouveau quartier culturel voit le jour à Johannesburg. Des restaurants, des boutiques design proposant des produits haut de gamme, et des antennes des galeries Smac et Whatiftheworld, basées à Cape Town, s’installent dans un ancien immeuble de bureaux rénové dans le quartier résidentiel de Rosebank, au centre de Johannesburg. D’autres espaces d’art vont être créés aussi dans ce quartier, où les galeries Everard Read et Circa sont déjà présentes.
La Cape Town Art Fair (CTAF) se positionne comme une foire d’art internationale majeure qui “amènera l’art contemporain africain au monde, et le monde à Cape Town.” S’étant déroulée dans la ville où se trouvent les plus importantes galeries d’Afrique, elle a accueilli 40 galeries et plus de 130 artistes en février dernier. La CTAF compte s’agrandir et connaître encore plus de succès en 2017, quand elle aura lieu en même temps que le Gala du Zeitz MOCAA, qui précédera l’inauguration du Zeitz Museum of Contemporary Art Africa en l’automne (voir ci-dessous). L’objectif de Cape Town est de devenir un lieu, voire le lieu international incontournable pour l’art contemporain africain, et la CTAF va certainement l’aider à l’atteindre.
Ailleurs en Afrique, la première édition d’ART X Lagos se déroulera du 4 au 6 novembre 2016. Elle présentera des galeries du Nigéria, d’autres pays d’Afrique et de la Diaspora (Goodman Gallery et Stevenson Gallery d’Afrique du Sud seront présentes, ainsi que la nouvelle Galerie 1957 du Ghana (voir ci-dessous)), exposant plus de 45 artistes émergents ou reconnus. Un autre nouveau venu est la foire internationale Art Accra au Ghana, qui aura lieu du 8 au 10 décembre 2016. Elle présentera 25 galeries d’Afrique et d’ailleurs. Ses organisateurs la caractérisent comme “un excellent port d’ancrage pour la communauté de collectionneurs d’art qui souhaitent explorer le paysage du marché de l’art en Afrique.” Les collectionneurs mettront-ils le cap vers ce nouveau port ? Nous le saurons bientôt.
Par ailleurs, Accra accueille une nouvelle galerie. Marwan Zakhem, homme d’affaires et collectionneur, a ouvert en mars 2016 la première galerie d’art commerciale à Accra. La Gallery 1957 se spécialise en art contemporain africain avant-gardiste. “Je souhaitais créer une plate-forme commerciale pour des artistes d’ici et leur fournir davantage d’opportunités, de manière à ce qu’ils n’aient pas besoin de partir à l’étranger pour poursuivre leurs carrières.”
L’enjeu à présent est de savoir si ce nouveau projet connaîtra le même succès que, par exemple, la Galerie MOMO à Johannesburg. Fondé en 2002 par Monna Mokoena, dont la formation juridique a été surpassée par son amour pour l’art, MOMO expose des œuvres d’art avant-gardistes d’artistes locaux et internationaux. La galerie a ouvert aussi un nouvel espace à Cape Town.
Les galeries – la même tendance reflétée.
De grandes rétrospectives et des expositions individuelles en 2016 sont toutes deux des reflets du dynamisme du marché de l’art contemporain africain et des moteurs pour son développement.
La liste des expositions individuelles dans les galeries est longue, bien plus longue que lorsque des galeries bien connues en Afrique du Sud, telles Stevenson et Goodman, ou celle de Jack Shainman à New York, les organisaient déjà en pionnières au niveau local. Il convient de signaler en particulier les expositions dans des galeries de renom à New York et Londres, qui témoignent de la réputation grandissante d’artistes contemporains africains sur la scène internationale. Parmi elles sont la première exposition solo à New York de Nicolas Hlobo chez Lehmann Maupin, l’exposition du sculpteur Serge Alain Nitegeka chez Marianne Boesky Gallery, la première exposition en Grande Bretagne d’Eddy Kamuanga Illunga, chez October Gallery, Julie Mehretu chez Marianne Goodman à New York et Romuald Hazoumè chez Gagosian au Bourget (Paris). Parallèlement à ces expositions sont d’autres dans une douzaine de galeries à Londres spécialisées dans l’art contemporain africain (par exemple, Jack Bell et Tiwani Contemporary) qui cherchent à attirer les collectionneurs venus à Londres pour Frieze et 1:54.
Parmi les grandes rétrospectives figurent une exposition du photographe malien Seydou Keita au Grand Palais à Paris ainsi que la première grande exposition individuelle au Royaume-Uni du compatriote de Keita, le photographe Malick Sidibé, qui a commencé à Somerset House pendant la 1:54 African Art Fair en octobre et qui se poursuivra jusqu’au 15 janvier 2017.
Les Musées.
Selon Giles Peppiate, directeur du Département d’Art moderne et contemporain africain chez Bonhams : “Lorsque la Tate, le Smithsonian et d’autres institutions semblables commencent à présenter des expositions d’art contemporain africain, nous savons que quelque chose de particulier et de merveilleux se passe ; qu’il y a du changement dans l’air”.
La preuve la plus convaincante de ce “changement dans l’air” n’est autre que la création d’un nouveau musée dédié à l’art contemporain africain. L’année prochaine, le Zeitz Museum of Contemporary Art Africa, le plus grand musée du monde dédié à l’art contemporain africain, ouvrira ses portes à Cape Town. Installé dans l’historique Grain Silo, un édifice “icône” de 57m de haut, situé sur le front de mer de la ville, le Zeitz MOCAA aura une surface de plus de 9500m² sur neuf étages, avec 6000m² d’espace d’exposition, ce qui en fera l’un des principaux musées d’art contemporain au monde. La mission de cette nouvelle institution à but non lucratif sera de recueillir, préserver, exposer et mener de la recherche sur l’art contemporain avant-gardiste de l’Afrique et sa diaspora. Mark Coetzee, directeur général et conservateur en chef du musée, dit : “Pour le Zeitz MOCAA, on a repensé le musée dans un contexte africain : célébrer une Afrique qui préserve son propre patrimoine culturel, qui écrit sa propre histoire et qui se définit en ses propres termes.”
Voilà pour l’art contemporain africain dans ce numéro d’ArtBeat. Mais rendez-vous bientôt ici pour d’autres nouvelles sur le très dynamique monde de l’art contemporain. 2017 promet d’être encore une année exceptionnelle !