“Costume As Performance”
Mark Coetzee, directeur et conservateur en chef du Zeitz Museum of Contemporary Art Africa (Zeitz MOCAA), nous parle de l’importance culturelle du costume, des raisons pour lesquelles on collectionne le costume et de la création du Costume Institute, qui fait partie du nouveau musée de l’art contemporain africain au Cap.
Les premiers hommes portaient peut-être des peaux et des fourrures pour se réchauffer et se protéger, mais depuis des millénaires nos vêtements ne servent plus seulement à notre survie. À travers les âges, les civilisations ont utilisé vêtements, bijoux, maquillage, peintures corporelles, ou encore des transformations physiques pour exprimer une multitude d’attitudes par rapport à la morale, aux tabous, aux religions, aux classes sociales ; ou à leurs richesses, leur nationalité, leur ambition ; voire même une forme de rébellion.
Comprendre l’histoire des costumes, c’est comprendre l’histoire complexe et profonde de l’humanité. Nous étudions les vêtements pour rechercher des similarités et des différences entre les personnes, les groupes et les pays. Un institut dédié aux costumes est une archive de ce que nous sommes, de nos origines, et son travail permet d’observer si, nos comportements, morales et valeurs, changent à travers le temps.
Pendant trop longtemps, les musées et le monde de l’art ont fait une distinction entre le grand art et les arts appliqués. Heureusement, au XXIème siècle, nous reconnaissons l’extraordinaire créativité et l’innovation dans des domaines qui, traditionnellement, n’auraient pas été considérés comme de l’art. Grâce à ce travail de conservation des costumes, les musées utilisent ces artéfacts comme parfaits exemples et rappels d’une époque.
Cependant, les musées ne peuvent pas uniquement s’intéresser au passé. Ils doivent également nous encourager à faire face aux défis et à saisir les opportunités de notre temps. En nous aidant à comprendre la pertinence et le pouvoir du costume, nous faisons aujourd’hui des choix vestimentaires plus intelligents, réfléchis et conscients, afin d’exprimer notre personnalité, de se libérer ou au contraire de se brider. Nous sommes également en mesure de réfléchir à notre impact environnemental selon les fibres ou les matières que l’on achète, mais aussi de dépenser de manière plus responsable, en choisissant les marques en fonction des conditions de travail de leurs employés et de leur souci du respect des droits de l’homme.
Les costumes sont apparus en Afrique et se sont ensuite étendus à travers le monde, au fur et à mesure que l’humanité s’est éloignée de son lieu de naissance. L’Afrique a d’extraordinaires traditions d’usage du costume pour exprimer la spiritualité et la religion, les traditions et les origines, l’appartenance à des partis politiques. Le vêtement est l’expression d’une force créative. En se rendant plus beau on augmente nos chances de trouver un partenaire, on s’identifie à un certain groupe culturel, on exprime ses opinions par rapport à la décadence d’une société ou par rapport à ses traditions ; et on peut également s’approprier ou rejeter ce que peut être le costume hors du continent.
Le Costume Institute à Zeitz MOCAA a pour responsabilité de collecter et préserver pour les futures générations l’extraordinaire art de la mode que l’on trouve aujourd’hui en Afrique et dans la diaspora africaine, et a pour mission de l’utiliser et de l’exposer pour éduquer et inspirer. Tous les designers originaires du continent seront mis à l’honneur et exposés. Cet institut a pour enjeu de représenter la diversité de la créativité africaine et son influence au delà de ses frontières. Le Costume Institute accueillera également des expositions venues du monde entier, pour les faire découvrir au public local. J’espère qu’en découvrant ce qui se fait ailleurs, nos designers seront mieux informés et dépasseront leurs limites.
En 2017, le Costume Institute fera partie intégrante du Zeitz MOCAA, avec des galeries dédiées à la mode, accueillant des expositions temporaires tirées de la collection permanente, mais aussi des prêts venant d’autres institutions. En créant un institut dédié à la mode contemporaine, nous développerons un public et dialoguerons avec des amoureux de la mode grâce à l’organisation de conférences, d’ateliers, de visites guidées, d’activités sociales, de défilés, de parutions et d’un programme éducatif pour les enfants.
Afin de déterminer si la mode est une forme d’art, nous avons besoin de définir, ou au moins d’essayer de définir, ce qu’est l’art en soi. Selon le dictionnaire Oxford, l’art est « une gamme variée d’activités humaines, créant des œuvres ou artéfacts visuels, auditifs ou de performance, exprimant les compétences techniques ou créatives de l’auteur, qui est destinée à être appréciée pour sa beauté ou sa force émotionnelle ». D’après cette définition, il semble que la mode, telle qu’elle est aujourd’hui au XXIème siècle, est évidemment une forme d’art.
Les frontières entre l’art, la mode, la musique, et les médias numériques sont totalement floues. Les hiérarchiser ne semble plus approprié dans une société où nous nous présentons au monde de manière totalement consciente et réfléchie. La manière de nous habiller, notre utilisation des médias sociaux, notre argot, l’apparition des « selfies », … Nous acceptons le fait d’être en permanence observés ou photographiés, avec ou sans notre consentement. Il est aujourd’hui impossible de vivre dans l’anonymat, nous sommes, que nous le voulions ou pas, constamment dans la performance. Notre style vestimentaire, notre coupe de cheveux, ou notre façon de se maquiller, nous servent à façonner l’image que nous voulons donner au monde extérieur, et nous utilisons notre corps, travaillés et ornés, pour projeter le message que nous souhaitons partager.
Je suis convaincu que, désormais, la mode fonctionne comme une sculpture vivante. En utilisant nos vêtements, nous créons une forme visuelle de nous même, nous attirons l’attention sur les choses que nous trouvons belles. Grâce aux couleurs et aux tissus que nous portons, nous transformons la silhouette et les courbes de notre corps. Nous sommes des artéfacts vivants, utilisant les compétences techniques des créateurs, des marques de maquillage, des tatoueurs,…, et exprimons ainsi notre imaginaire.
Mark Coetzee, directeur et conservateur en chef .