Author: Céline Claracq
“California Dreaming” ? Désormais une Réalité pour l’Art Contemporain.
La côte Ouest est-elle devenue la destination phare en matière d’art contemporain ? Il semble que cela soit le cas. À Los Angeles, on recense The Broad, ce nouveau musée possédant une incroyable collection d’art contemporain, et le vaste complexe d’arts d’ Hauser, Wirth & Schimmel dans l’Art District en pleine expansion. De nombreuses galeries se sont installées à Los Angeles : Karma International de Zurich, Maccarone de New-York, Sprüth Magers de Berlin et Londres. L’art envahit également le « Bay Area » de San Francisco. Le San Francisco Museum of Modern Art vient de rouvrir après avoir été rénové et agrandi ; Gagosian s’est installé juste à côté ; et Pace Gallery a ouvert un espace à Palo Alto. La ville de San Francisco a également accueilli deux foires d’art contemporain à la mi-janvier : la quatrième édition de Fog Design + Art, avec la participation d’un nombre croissant de galeries de premier rang, et Untitled, San Francisco, la foire originaire de Miami, qui a attiré le gratin des collectionneurs, curateurs et professionnels du monde de l’art.
À ces arguments s’ajoute un événement nouveau dans le domaine de la photographie, et bien évidemment, cela se passe à San Francisco. La première édition de Photofairs San Francisco aura lieu au Festival Pavilion au centre Fort Mason du 27 au 29 janvier 2017.
Photofairs San Francisco
Les organisateurs affirment que l’objectif est de faire de cette foire l’événement leader pour les collectionneurs, chevronnés ou amateurs, de photographies et d’image animée. Le directeur artistique de Photofairs, Alexander Montague-Sparey, ancien directeur et spécialiste du département photographique de Christie’s, affirme « Les travaux sélectionnés et présentés font honneur à des œuvres nouvelles et pertinentes tant au niveau régional qu’international. Pour cette première édition de Photofairs San Francisco, je suis très enthousiaste à l’idée de mettre en avant des artistes de la côté Ouest, aux cotés d’œuvres européennes et asiatiques qui n’ont jamais été présentées dans la région de la Baie et qui constituent des opportunités particulièrement intéressantes dans le marché actuel. »
Regroupant 34 galeries de 14 pays et 25 villes à travers le monde, Photofairs San Francisco présentera des photographies et des œuvres animées avant-gardistes triées sur le volet et dont la sélection valorise les artistes contemporains vivants. Au-delà des deux parties principales présentant respectivement 30 galeries nouvelles et établies, et 4 galeries participant pour la première fois à une foire aux États-Unis, une troisième zone mettra en lumière des artistes émergents et en milieu de carrière spécialisés dans le digital et sera un lieu de conférences et d’expositions.
Du fait de l’engouement de la ville pour ce médium, on trouve de nombreux collectionneurs passionnés de photographie dans la baie et dans d’autres parties de la Californie. La foire souhaite bien évidemment attirer ce type de collectionneurs, mais a aussi pour but d’éduquer et de susciter un intérêt pour la photographie en général particulièrement chez les collectionneurs d’art contemporain amateurs et avérés de la zone plus large de la Silicon Valley.
Photofairs Shanghai
Photofairs San Francisco est la sœur cadette de la foire Photofairs Shanghai, dont la troisième édition, un succès, s’est terminée le 11 septembre 2016. Décrite comme « la destination phare en matière de photographie de collection en Asie », cette foire cherche à attirer les collectionneurs chinois, avérés ou amateurs, qui sont plus à même d’acheter des pièces. Cet événement expose des artistes émergents exceptionnels originaires de Chine et de la région d’Asie pacifique, aux côtés de grands chefs d’œuvre. Avec près de 50 galeries, la foire de Shanghai a atteint des records de vente. La fréquentation a également augmenté, atteignant les 27 000 visiteurs, une tendance observée ailleurs. En 2016, Paris Photo a vu son nombre de visiteurs augmenter de 8% avec 62 000 visiteurs, et Photo London a atteint les 35 000 pour sa deuxième édition. Une tendance qui confirme la popularité grandissante des foires pour voir, vendre et acheter de la photographie. C’est vrai, après seulement deux ans, Paris Photo a choisi de ne pas retourner à Los Angeles, mais Photo L.A. vient de célébrer son 26ème anniversaire le weekend dernier avec un listing de 80 galeries.
San Francisco
La question est de savoir si Photofairs San Francisco va suivre ses tendances. Ou va-t-elle subir le même destin que Photo Paris qui n’a pas su s’établir à Los Angeles ? San Francisco a un riche héritage en matière de photographie et a toujours fait honneur à ce médium. La ville jouit d’une réputation à l’international dans ce domaine et est, avec New-York, la ville la plus importante en matière de photographie. Ces facteurs offrent à Photofairs de plus grandes chances de succès, et de plus elle jouit d’un soutien local ce qui n’était pas le cas de Paris Photo à L.A.
San Francisco peut se vanter de son engagement fort dans la photographie. Le de Young Museum, où il y a près de 80 ans le Group f/64 – un cercle très influent de photographes modernes dont Ansel Adams, Imogen Cunningham et Edward Weston – a tenu sa première exposition. Pier 24 Photography expose la remarquable collection de la Fondation Pilara et des expositions temporaires ; et bon nombre de galeries de photographie, dont la Fraenkel Gallery, l’une des plus prestigieuses au monde.
Il faut ensuite bien sûr parler du San Francisco Museum of Modern Art qui a été l’un des premiers musées à reconnaître la photographie comme une forme d’art à part entière. Il compte aujourd’hui plus de 17 800 photographies, datant de l’avènement de la photographie en 1839 jusqu’à nos jours. La rénovation récente, qui a duré trois ans, a permis de doubler la taille du musée. Il est ainsi devenu le plus grand musée d’art moderne et contemporain des Etats-Unis. Grâce à ces travaux, la surface dédiée à la photographie a triplé et occupe désormais presque la totalité du troisième étage. Avec une surface d’environ 15 000 mètres carré, le Pritzker Center for Photography est l’espace dédié à la photographie le plus grand des musées aux Etats-Unis.
The SFMOMA, qui a rouvert en mai, fonctionne désormais comme un pôle d’attraction pour les marchands d’art. Un grand nombre de galeries prestigieux ont gravité dans les environs. Larry Gagosian y a ouvert sa première galerie à San Francisco, un espace de 4 500 m2 à l’angle de la rue du musée. Le marchand John Berggruen a déménagé, après 45 ans, pour ouvrir une galerie de 10 000 m2 sur trois étages à côté de celle de Gagosian. « Les deux galeries constituent un espace petit mais créent une masse critique », affirme Berggruen, sous-entendant leur pouvoir d’impulser une future croissance dans le marché d’art contemporain de San Francisco. Dans le même temps, la Pace Gallery a suivi ce mouvement vers l’Ouest en développant un nouvel espace à Palo Alto.
Alors que le public de la Silicon Valley n’a pas montré autant d’enthousiasme à collectionner que les galeries l’aimeraient, l’un des investisseurs en capital risque du coin a trouvé une autre manière de soutenir les arts en finançant le Minnesota Street Project, un complexe divisé en studios et galeries.
Comme mentionné plus haut, San Francisco accueille des foires d’art contemporain à succès. Untitled, Art, lancée à Miami en 2012, a organisé une nouvelle foire à San Francisco qui a eu lieu en mi-janvier. Cette foire présente 55 exposants de 10 pays et 19 villes d’Amériques du Nord et du Sud, de l’Europe et du Moyen Orient, et a attiré un nombre impressionnant de collectionneurs, curateurs et professionnels du monde de l’art.
Le répertoire de FOG Design + Art a atteint les 45 galeries cette année, et est encore plus international qu’il ne l’était dans le passé. Cette quatrième édition, qui a eu lieu du 12 au 15 janvier, a accueilli 8 000 visiteurs, près du double de la foire inaugurale. Parmi les nouveaux venus de qualité étaient Gavin Brown’s Enterprise, Gagosian, Kurimanzutto, Paula Cooper Gallery, et Lévy Gorvy. Dominique Lévy a affirmé que « l’énergie et le soutien des collectionneurs de la région » l’année dernière, et « l’engagement de longue date pour l’art moderne et contemporain à San Francisco », sont la raison de leur participation.
En ce qui concerne notre question initiale à savoir si « la côte Ouest est-elle devenue la destination phare en matière d’art contemporain ? » Au regard des faits marquants de la scène de l’art à San Francisco et Los Angeles, la réponse est un « oui » catégorique.
Chercher le Sens de l’Art dans la Vie après le 20 Janvier
John Berger, 1960 :
« C’est notre siècle, qui est avant tout le siècle où l’homme partout dans le monde réclame le droit à l’égalité, c’est notre propre histoire qui rend inévitable que l’art ne prend sens à nos yeux que si nous le jugeons en se demandant s’il a aidé ou non l’homme à réclamer ses droits sociaux. Cela n’a aucun lien avec la nature immuable de l’art – si tant soit peu qu’une telle chose existe. C’est la vie telle que nous la vivons depuis ces cinquante dernières années qui fait que Michel-Ange devient aujourd’hui un artiste révolutionnaire. L’hystérie avec laquelle les gens dénigrent l’emphase sociale donnée inévitablement à l’art est simplement due au fait qu’ils renient leur propre époque. Ils voudraient vivre à une époque où ils auraient raison. »
Extrait de l’introduction de « Permanent Red », republié en 2001 dans « Selected Essays of John Berger ».
À voir Ways of Seeing, une série captivante de quatre épisodes, produite par la BBC, écrite et présentée par John Berger, qui révolutionne notre perception de l’art. Le livre du même nom, basé sur ce programme et publié en 1972, est considéré comme l’un des livres sur l’art le plus stimulant et le plus influant jamais écrit.
De nos jours, « renier » notre propre époque devient plus difficile. Ci-dessous, une sélection d’articles portants sur la manière dont le monde de l’art « voit » l’arrivée de Donald Trump :
Prepping for the inauguration with art
Lessons of the election for art
Le Black Mountain College
Le Black Mountain College était une petite université expérimentale enseignant les arts libéraux, fondée en 1933 dans les Blue Ridge Mountains de la Caroline du Nord, dont l’importante influence continue de se faire ressentir aujourd’hui dans le monde de l’art.
En continuité avec les idées du mouvement de l’Éducation nouvelle, ses fondateurs considéraient l’étude et la pratique des arts comme au cœur de l’apprentissage des arts libéraux. Ils pensaient l’art comme une manière de vivre et d’être au monde.
Lorsque des figures importantes du Modernisme européen ont rejoint le corps enseignant, comme Josef et Anni Albers, l’université a développé une approche interdisciplinaire accordant autant d’importance à chaque discipline dans le cursus scolaire : peinture, tissage, sculpture, poterie, poésie, musique et danse. Les principes du Bauhaus, qui donnait une place importante aux travaux manuels, et l’expérimentation sont également devenus partie intégrante de l’approche pédagogique. La présence d’artistes et d’enseignants européens, tels que les Albers ou les de Koonings, a créé un environnement cosmopolite au sein de l’École, malgré son isolement dans la campagne du Sud des États-Unis.
L’apprentissage par l’expérience et l’action, la discussion et la libre pensée, le partage d’idées et de valeurs issues de différentes cultures faisaient partie intégrante de la philosophie pédagogique de Black Mountain. On y essayait de nouvelles méthodes d’enseignement et d’apprentissage. Et enfin, on accordait une place primordiale à l’individualité.
Les professeurs possédaient et administraient l’université et, avec les étudiants, organisaient des comités pour régir l’établissement. L’école fonctionnait comme une communauté. Tout le monde participait à l’opérationnel, y compris au travail agricole, à l’entretien ménager, aux projets de rénovation, ou même à la cuisine.
Beaucoup de figures importantes du monde de l’art ont enseigné ou étudié à BMC. Une liste non-exhaustive comprend Anni et Josef Albers, John Cage, Merce Cunningham, Robert Rauschenberg, Elaine et Willem de Kooning, Buckminster Fuller, Ruth Asawa, Robert Motherwell, Robert Creeley, Cy Twombly, Kenneth Noland, Ben Shahn, Franz Kline, Dorothea Rockburne, Gwendolyn et Jacob Knight Lawrence, Charles Olson, Vera B. Williams, Arthur Penn, M.C. Richards, et Francine du Plessix Gray.
Le nombre décroissant d’étudiants et les dettes accumulées par l’établissement forcèrent la fermeture de ses portes en 1957. Cependant, durant sa courte existence et malgré sa petite taille, le Black Mountain College a largement contribué à l’émergence de nouvelles idées et de nouveaux artistes qui ont marqué l’Histoire de l’art.
L’esprit libérateur de Robert Rauschenberg
“L’art est une expérience destinée à permettre à chaque individu d’être lui-même et de se trouver.” – Robert Rauschenberg
Précédant la grande et large rétrospective de Robert Raschenberg qui vient de débuter au Tate Modern de Londres le 1re décembre, l’exposition du Ullens Center for Contemporary Art (UCCA) de Pékin, l’été dernier, offrait un regard différent sur le travail de l’artiste. Rauschenberg in China présentait essentiellement une seule et unique œuvre, « The ¼ Mile or 2 Furlong Piece », qui n’avait pas été exposée depuis 1999. D’une longueur d’environ 300 mètres (la distance entre son lieu de résidence et son studio sur l’île de Captiva, en Floride), cette œuvre est constituée de 190 pièces, en deux ou trois dimensions, installées chronologiquement sur des murs zigzaguant au travers du grand hall de l’UCCA.
Cette série d’œuvres, produites entre 1981 et 1998, sont une forme de synthèse de sa carrière ; une forme de combinaison qui éclipse (du moins par sa taille) ses célèbres « Combines » créés plus tôt dans sa carrière. Cette installation, témoignage de la débordante créativité de l’artiste, inclut bien évidemment des pièces dans lesquelles il a travaillé dans « l’intervalle séparant l’art de la vie » comme il aimait le dire, incorporant dans ses peintures des objets de la vie quotidienne pour produire des compositions esthétiques et détonantes. Par ailleurs, les composants divers et variés de « The ¼ Mile » raconte leur propre réalité : l’évolution de l’art de Rauschenberg, en constante progression et aux techniques multiples.
L’exposition à l’UCCA a révélé également une autre facette du désir de Rauschenberg d’assembler, de combiner. Il a débuté « The ¼ Mile » l’année avant son premier voyage en Chine. Durant ce voyage, son expérience, associée à sa conviction que la culture représente un moyen d’unir les hommes et de promouvoir la compréhension mutuelle et la paix, l’amena à penser le projet Rauschenberg Overseas Culture Interchange (ROCI). Le ROCI était une initiative financée par l’artiste, par laquelle il a créé et organisé des expositions dans 10 pays entre 1984 et 1991 : Mexique, Chili, Vénézuela, Chine, Tibet, Japon, Cuba, URSS, Malaisie et Allemagne.
L’exposition ROCI China à Pékin, tenue en 1985, a attiré près de 300 000 visiteurs et a profondément influencé le développement de l’art moderne en Chine, et en particulier le courant ’85 New Wave.
Lorsque l’on parle de Rauschenberg, on l’associe souvent à la notion de « permission », à cet « effet libérateur » qu’il a pu avoir sur les artistes. L’effet des œuvres de Rauschenberg et de son ouverture d’esprit ne fait pas de doute. Découvrir ces pièces a non seulement « permis » aux artistes de combiner différents médiums dans leur travail, mais aussi de suivre leur propre impulsion créatrice tout en encourageant leurs pairs à faire de même.
Rauschenberg et le Black Mountain College.
L’ouverture, l’interaction et l’encouragement mutuel, sont des notions que Rauschenberg a lui-même puisé dans sa formation artistique unique. Après avoir brièvement étudié à l’Art Institute de Kansas City et à l’Académie Julian de Paris, il s’inscrit en 1948 au Black Mountain College, en Caroline du Nord (voir article dans la catégorie « Looking Back »).
Cette université progressiste a accueilli beaucoup des plus grands artistes peintres, compositeurs, poètes ou designers américains. Le Black Mountain College était fondé sur une approche scolaire interdisciplinaire, qui accordait autant d’importance à chaque discipline : peinture, tressage, sculpture, poterie, poésie, musique ou danse. Le professeur de Rauschenberg, l’artiste et enseignant allemand Joseph Albers, était convaincu que l’apprentissage demandait une interaction directe avec la vie, d’être familier avec les propriétés physiques du monde matériel qui nous entoure. Il encourageait aussi ses étudiants à travailler avec une large variété de matériaux.
Albers imposait une discipline sévère dans ses cours, et Rauschenberg le décrivait comme l’influençant à faire « l’exact opposé » de ce qu’on lui avait appris. Malgré sa pédagogie très stricte, l’importance qu’accordait son mentor aux matériaux dans le processus créatif et à l’intégration du monde réel et de la vie dans l’art, semble avoir fait écho avec la sensibilité, l’intuition et les instincts de l’artiste.
Et bien que la manque de confiance en soi ne soit généralement pas associé à Rauschenberg, cette influence lui a peut-être donné le courage d’adopter les médiums qui définiront plus tard son travail – collages d’images provenant de magazines et de journaux, photos, vêtements, tissus, objets, carton, ferraille – des objets de la vie quotidienne qu’il a associé d’une manière radicalement innovante à partir des années 1950.
La longue amitié de Rauschenberg avec le compositeur John Cage et le chorégraphe Merce Cunningham, qui enseignaient dans la même université et partageant tous deux son désir d’intégrer la vie quotidienne dans l’art, remonte au temps de Black Mountain. Rauschenberg a déclaré que Cage avait eu « une remarquable influence » sur sa manière de penser. « Il m’a donné la permission de poursuivre ma réflexion… il était le seul à m’autoriser à pousser ma propre réflexion. »
Cette période passée dans ce coin reculé de la Coraline du Nord, dans une communauté d’artistes et dans un environnement favorisant l’interaction, l’expérimentation, et l’échange vif d’idées, ont été fondamentales dans le développement futur de son art et de l’art contemporain en général. C’était le genre d’expérience libératrice – la « permission donnée » de suivre leurs propres idées, peu importe où elles mèneraient – que d’autres artistes décriront en expliquant l’influence qu’a eu Rauschenberg sur leur art dans les décennies suivantes.
La rétrospective actuelle du Tate Modern, présentant ses œuvres datant de Black Mountain College à sa mort en 2008, se déroulera jusqu’au 2 avril 2017. Elle sera ensuite présentée au Musée d’Art Moderne de New York (du 21 mai au 17 septembre 2017), puis au Musée d’Art Moderne de San Francisco.
Pour plus d’informations :
L’Art africain, un marché en plein essor.
Comme nous l’avons déjà souligné dans un article précédent, le marché de l’Art africain contemporain est désormais communément décrit comme « en essor », voire « en plein boom ». Ce nouveau post met en lumière les tendances alimentant – et étant alimentées par – ce regain d’intérêt et cet enthousiasme pour l’Art africain contemporain au travers des différentes foires de ces derniers mois.
Des événements plus grands, au nombre de visiteurs croissant.
En seulement quatre années, la taille de 1:54 Contemporary African Art Fair a plus que triplé. Lors de la première édition en 2013, 17 galeries étaient présentées dans une aile de la Somerset House de Londres. Cet automne, la foire envahissait l’ensemble du bâtiment (y compris une sculpture « in situ » dans la cour), accueillant ainsi 40 galeries, 130 artistes, et un nombre record de 17 000 visiteurs. À ce jour, 25 pays différents ont été représentés.
Autre fait marquant, la Cape Town Art Fair (CTAF) de 2017, prévue du 17 au 19 février, a reçu un nombre record de candidatures. Avec 80 exposants locaux et internationaux, contre 55 en 2016, cette cinquième édition promet d’être plus audacieuse et d’avoir une portée encore plus importante que les années précédentes. Pour la section « Tomorrows/Today », une partie clé de la foire, le nouveau commissaire en chef, Tumelo Mosaka, a choisi une dizaine de jeunes artistes émergents originaires d’Afrique, ou de sa diaspora qui présenteront des « solo shows ». Cette année verra la naissance de « Unframed », une nouvelle section consacrée à de grandes sculptures et des installations qui seront dispersées sur l’espace d’exposition. Quant à la FNB Joburg Art Fair cette année, 80 exposants venus de 17 pays étaient représentés. La fréquentation du lieu a augmenté sensiblement, atteignant les 12 500 visiteurs ; et l’événement a totalisé 2,8 millions d’euros de vente, un record dépassant de loin celui de 1,04 millions d’euros comptabilisé il y a quatre ans.
L’apparition de nouvelles foires.
Face au fort engouement entourant l’art africain contemporain, de nouvelles foires ont vu le jour sur le continent africain et à l’international. Also Known As Africa (AKAA) est la première foire consacrée à l’art contemporain et au design africain organisée à Paris. Pendant trois jours, du 11 au 13 novembre dernier, elle a accueilli 29 galeries originaires de 11 pays différents. Sa fondatrice, Victoria Mann, avait espéré accueillir entre 5 000 et 8 000 visiteurs lors de l’édition de 2015, celle-ci avait malheureusement dû être annulée en raison des attaques survenues à Paris au même moment. Cette année, l’événement a suscité plus d’enthousiasme qu’elle ne l’espérait, attirant près de 15 000 personnes. Art X Lagos (du 4 au 6 novembre) a présenté une sélection de galeries dans 10 pays différents en Afrique et au sein de sa diaspora. Cette foire a regroupé ainsi près de 65 artistes originaires du Nigéria, du Ghana, d’Afrique du Sud, du Cameroun, du Mali, du Zimbabwe, ou encore d’Égypte. Pour Tokini Perterside, fondateur de Art X Lagos, « notre but est d’encourager le mécénat d’artistes en général en Afrique ». Les Collector’s Series – forum regroupant près de 100 collectionneurs d’art VIP ayant pour sujet de réflexion des thèmes telles que les œuvres d’art comme actifs – ont agi dans ce sens. Dans le même esprit, le directeur artistique Bisi Silva parle du développement d’un « écosystème artistique », aussi bien à l’international que dans le continent africain, qui contribuerait « à la viabilité d’une pratique artistique ». Au Ghana, Art Accra présentera 25 galeries d’Afrique et d’ailleurs entre le 8 et le 10 décembre. Gage de pertinence, le comité de sélection de la foire était composé de figures importantes du monde de l’art africain contemporain : Oliver Enwonwu, Koyo Kouoh, Elikem Kuenyehia, et Ugochuwku Smooth Nzewi.
De plus en plus de galeries – parfois toutes nouvelles – originaires de différents pays africains.
À 1:54, parmi les 40 galeries participantes, 17 étaient présentes pour la première fois ; et au total, 16 étaient originaires du continent africain, dont la récente Gallery 1975 créée à Accra, au Ghana. Cape Town Art Fair compte plus de 20 galeries internationales sur la liste des participants de l’édition 2017. Cependant, elle accueillera beaucoup de galeries représentatives de la scène artistique du continent africain, telles que Addis Fine Art en Éthiopie, Afriart en Ouganda, Art Twenty One au Nigéria, First Floor au Zimbabwe, et Galerie Cécile Fakhoury en Côte d’Ivoire ; ces galeries s’ajoutant aux galeries sud-africaines bien connues telles que Stevenson, Goodman, MOMO, SMAC, Whatiftheworld, et Smith, parmi d’autres. Un autre signe révélateur de l’engouement croissant pour l’Art africain au sein même du continent est le fait que FNB Joburg Art Fair ait choisi de mettre en lumière l’art de l’Afrique de l’Est dans sa section Focus. Le Burundi, le Kenya, le Rwanda, la Tanzanie, l’Ouganda, l’Éthiopie, la Somalie, et le Soudan sont tous représentés. Au Kenya, par exemple, où il n’existe que peu de galeries qui ont été fondées très récemment, on observe « un vrai épanouissement des galeries privées », affirme Carol Lees, directeur de la One Off Contemporary Art Gallery à Nairobi. À propos de l’AKAA, la fondatrice Victoria Mann déclare que « ce dont nous sommes le plus fier, c’est que la moitié des exposants sont originaires d’Afrique. De ce fait, cet événement n’est pas seulement une foire où des galeries européennes et américaines exposent des artistes africains ».
Le prochaine événement sur le calendrier parisien est Art Paris Art Fair (du 30 mars au 2 avril 2017), dont l’attention sera portée sur l’Afrique. Le commissaire Marie-Ann Yemsi promet une approche « sortant des sentiers battus », avec entre autre un espace dédié aux vidéastes africains.
À Paris également, on parle de trois expositions d’Art africain contemporain à la Fondation Louis Vuitton au printemps prochain, incluant une sélection d’œuvres issues de la collection de Jean Pigozzi, une des plus importantes du monde.
Pour plus d’informations :
À Londres, le Design Museum déménage.
« Nous devons faire quelque chose pour le design. Nous avons besoin de faire pour le design ce que la Tate Modern a fait pour l’art contemporain », explique Deyan Sudjic, directeur du Design Museum de Londres. Il rappelle qu’avant la Tate Modern, l’art contemporain semblait « en périphérie des choses », voire « n’était pas pertinent dans la vie britannique quotidienne ».
Désormais, avec la réouverture du Design Museum dans le bâtiment réaménagé de l’ancien Commonwealth Institute le 24 novembre, ce « quelque chose pour le Design » est en mouvement, et à l’échelle qu’il mérite.
Anciennement situé dans des entrepôts de Shad Thames datant des années 1940, le Design Museum a déménagé à Kensington High Street, où il est entouré du Royal College of Art, du V&A Museum, du Natural History Museum, du Science Museum et autres Serpentine Galleries dans le quartier culturel de l’Ouest de Londres.
« Les musées sont des lieux particuliers », nous raconte Deyan Sudjic. « L’architecture d’un musée est très importante ; c’est ce qui fait que les gens se sentent dans un endroit spécial ». Et en effet, l’architecture du nouveau musée est unique en son genre. Son spectaculaire toit en forme de paraboloïde hyperbolique est sa caractéristique principale. L’architecte John Pawson a choisi de le préserver, ainsi que espace intérieur exceptionnel de ce monument classé datant des années 1960, qui a été restauré à un coût de près de 83 millions de livres. Pour les visiteurs, ce toit est un avant-goût de la surprenante et fascinante sélection d’œuvres qu’ils trouveront en entrant dans le musée. (Il y a cependant eu un revers à cette singularité architecturale : la rénovation du bâtiment s’est avérée être un véritable défi technique, qui a retardé la réouverture du musée de deux ans).
Le Design Museum offre désormais un espace d’exposition de 10 000 m2, soit une surface trois fois plus grande que celle des anciens locaux de Shad Thames. Ceci permettra pour la première fois l’exposition permanente de la collection du musée, ainsi que l’organisation de plusieurs expositions temporaires à la fois.
Deux nouveaux étages accueilleront des galeries et un auditorium. Au rez-de-chaussée se situeront les plus grandes galeries, les espaces dédiés aux expositions temporaires, ainsi que la boutique et le café du musée. Un centre d’études et une bibliothèque avec ses archives occuperont le premier étage ; la collection permanente « Designer Maker User » sera au dernier étage ainsi que le programme Designers in Residence, un restaurant, et un salon réservé aux membres.
Londres s’est depuis longtemps forgé une réputation dans le domaine du design. Le Festival du Design, organisé chaque année à l’automne depuis 2003 avec de nombreux événements et expositions à travers toute la ville ; le prestigieux salon PAD London en parallèle avec Frieze London ; puis les ventes aux enchères de la maison Phillips à Berkeley Square, renforcent sa présence dans le design du 20ème et 21ème siècles, et sont autant de raisons que Londres se positionne aujourd’hui comme la capitale mondiale du design.
Le Design dans tous ses états.
Cependant, Deyan Sudjic semble avoir en tête un objectif supplémentaire et plus ambitieux pour le Design Museum. En plus de refléter le rôle majeur de Londres dans le monde du design, on a l’espoir que ce nouveau bâtiment, ouvert au public toute l’année, attirera un plus grand nombre de visiteurs, éventuellement 400 000 personnes de plus que la fréquentation actuelle. Il suscitera ainsi l’intérêt et l’enthousiasme du plus grand nombre, et prouvera la pertinence du domaine auprès de la société britannique et de tous ceux qui viendront, de partout dans le monde, et ajouteront ce musée à leur liste des sites londoniens à ne pas manquer.
Qu’est-ce que cette ouverture signifie pour Terence Conran, fondateur du Design Museum en 1989 ? « Ce projet va nous permettre de réaliser un peu plus nos rêves et ambitions : créer le meilleur et le plus important musée de design au monde. »
Les expositions d’ouverture :
- Fear and Love : Reactions to a Complex World (24 novembre 2016 – 23 avril 2017) : une série d’installations de projets commandés à des designers et architectes parmi les plus innovants, qui explorent un large spectre de thèmes qui définissent notre société. [Moi aussi, j’aurais du mal… On supprime]
Cette exposition temporaire montre que le design n’est pas uniquement lié au commerce ou à la culture, mais qu’il est profondément lié à des problèmes de fond – des problèmes qui provoquent amour et peur. Cette audacieuse exposition, globale et multidisciplinaire, a pour ambition de capturer l’esprit de notre société et fait du Design Museum le centre d’un débat autour du design.
- Beazley Designs of the Year (24 novembre – 19 février 2017) : la neuvième édition de cet événement met à l’honneur les plus grands designers qui incitent ou favorisent le changement, améliorent l’accès ou le champ d’action du design dans la vie quotidienne, ou incarne l’esprit de l’année. Les nominées sont représentés dans six catégories : l’architecture, le digital, la mode, le graphisme, les produits et le transport.
Pour plus d’informations :
en.wikipedia.org/wiki/Deyan_Sudjic
en.wikipedia.org/wiki/Terence_Conran
“Costume As Performance”
Mark Coetzee, directeur et conservateur en chef du Zeitz Museum of Contemporary Art Africa (Zeitz MOCAA), nous parle de l’importance culturelle du costume, des raisons pour lesquelles on collectionne le costume et de la création du Costume Institute, qui fait partie du nouveau musée de l’art contemporain africain au Cap.
Les premiers hommes portaient peut-être des peaux et des fourrures pour se réchauffer et se protéger, mais depuis des millénaires nos vêtements ne servent plus seulement à notre survie. À travers les âges, les civilisations ont utilisé vêtements, bijoux, maquillage, peintures corporelles, ou encore des transformations physiques pour exprimer une multitude d’attitudes par rapport à la morale, aux tabous, aux religions, aux classes sociales ; ou à leurs richesses, leur nationalité, leur ambition ; voire même une forme de rébellion.
Comprendre l’histoire des costumes, c’est comprendre l’histoire complexe et profonde de l’humanité. Nous étudions les vêtements pour rechercher des similarités et des différences entre les personnes, les groupes et les pays. Un institut dédié aux costumes est une archive de ce que nous sommes, de nos origines, et son travail permet d’observer si, nos comportements, morales et valeurs, changent à travers le temps.
Pendant trop longtemps, les musées et le monde de l’art ont fait une distinction entre le grand art et les arts appliqués. Heureusement, au XXIème siècle, nous reconnaissons l’extraordinaire créativité et l’innovation dans des domaines qui, traditionnellement, n’auraient pas été considérés comme de l’art. Grâce à ce travail de conservation des costumes, les musées utilisent ces artéfacts comme parfaits exemples et rappels d’une époque.
Cependant, les musées ne peuvent pas uniquement s’intéresser au passé. Ils doivent également nous encourager à faire face aux défis et à saisir les opportunités de notre temps. En nous aidant à comprendre la pertinence et le pouvoir du costume, nous faisons aujourd’hui des choix vestimentaires plus intelligents, réfléchis et conscients, afin d’exprimer notre personnalité, de se libérer ou au contraire de se brider. Nous sommes également en mesure de réfléchir à notre impact environnemental selon les fibres ou les matières que l’on achète, mais aussi de dépenser de manière plus responsable, en choisissant les marques en fonction des conditions de travail de leurs employés et de leur souci du respect des droits de l’homme.
Les costumes sont apparus en Afrique et se sont ensuite étendus à travers le monde, au fur et à mesure que l’humanité s’est éloignée de son lieu de naissance. L’Afrique a d’extraordinaires traditions d’usage du costume pour exprimer la spiritualité et la religion, les traditions et les origines, l’appartenance à des partis politiques. Le vêtement est l’expression d’une force créative. En se rendant plus beau on augmente nos chances de trouver un partenaire, on s’identifie à un certain groupe culturel, on exprime ses opinions par rapport à la décadence d’une société ou par rapport à ses traditions ; et on peut également s’approprier ou rejeter ce que peut être le costume hors du continent.
Le Costume Institute à Zeitz MOCAA a pour responsabilité de collecter et préserver pour les futures générations l’extraordinaire art de la mode que l’on trouve aujourd’hui en Afrique et dans la diaspora africaine, et a pour mission de l’utiliser et de l’exposer pour éduquer et inspirer. Tous les designers originaires du continent seront mis à l’honneur et exposés. Cet institut a pour enjeu de représenter la diversité de la créativité africaine et son influence au delà de ses frontières. Le Costume Institute accueillera également des expositions venues du monde entier, pour les faire découvrir au public local. J’espère qu’en découvrant ce qui se fait ailleurs, nos designers seront mieux informés et dépasseront leurs limites.
En 2017, le Costume Institute fera partie intégrante du Zeitz MOCAA, avec des galeries dédiées à la mode, accueillant des expositions temporaires tirées de la collection permanente, mais aussi des prêts venant d’autres institutions. En créant un institut dédié à la mode contemporaine, nous développerons un public et dialoguerons avec des amoureux de la mode grâce à l’organisation de conférences, d’ateliers, de visites guidées, d’activités sociales, de défilés, de parutions et d’un programme éducatif pour les enfants.
Afin de déterminer si la mode est une forme d’art, nous avons besoin de définir, ou au moins d’essayer de définir, ce qu’est l’art en soi. Selon le dictionnaire Oxford, l’art est « une gamme variée d’activités humaines, créant des œuvres ou artéfacts visuels, auditifs ou de performance, exprimant les compétences techniques ou créatives de l’auteur, qui est destinée à être appréciée pour sa beauté ou sa force émotionnelle ». D’après cette définition, il semble que la mode, telle qu’elle est aujourd’hui au XXIème siècle, est évidemment une forme d’art.
Les frontières entre l’art, la mode, la musique, et les médias numériques sont totalement floues. Les hiérarchiser ne semble plus approprié dans une société où nous nous présentons au monde de manière totalement consciente et réfléchie. La manière de nous habiller, notre utilisation des médias sociaux, notre argot, l’apparition des « selfies », … Nous acceptons le fait d’être en permanence observés ou photographiés, avec ou sans notre consentement. Il est aujourd’hui impossible de vivre dans l’anonymat, nous sommes, que nous le voulions ou pas, constamment dans la performance. Notre style vestimentaire, notre coupe de cheveux, ou notre façon de se maquiller, nous servent à façonner l’image que nous voulons donner au monde extérieur, et nous utilisons notre corps, travaillés et ornés, pour projeter le message que nous souhaitons partager.
Je suis convaincu que, désormais, la mode fonctionne comme une sculpture vivante. En utilisant nos vêtements, nous créons une forme visuelle de nous même, nous attirons l’attention sur les choses que nous trouvons belles. Grâce aux couleurs et aux tissus que nous portons, nous transformons la silhouette et les courbes de notre corps. Nous sommes des artéfacts vivants, utilisant les compétences techniques des créateurs, des marques de maquillage, des tatoueurs,…, et exprimons ainsi notre imaginaire.
Mark Coetzee, directeur et conservateur en chef .
La découverte de Picasso en 1907…
Au début du XXème siècle, les artistes européens découvrent une nouvelle source d’inspiration artistique en provenance d’Afrique. Bouleversé face aux masques et figurines du British Museum qu’il découvre pour la première fois en 1906, André Derain écrit à Matisse pour lui faire part de son émerveillement face à l’expressivité de ces masques qui lui apportent une nouvelle source d’inspiration artistique.
Une rencontre sacrée.
Contrairement à nombre de leurs contemporains, Derain et Matisse, abordent ces masques et sculptures comme de véritable œuvres d’art d’une grande puissance et non comme de simples curiosités exotiques. Ils transmettent leur enthousiasme à un autre artiste : Pablo Picasso. L’influence de l’art africain commence à poindre alors dans le travail de Picasso, mais c’est seulement l’année suivante, en 1907, que son approche artistique sera bouleversée par ces formes « magiques » et « sacrées » venant d’Afrique.
Au cours du printemps 1907, poussé par Derain, Picasso visite le Musée Ethnographique du Trocadéro. Dans une lettre adressée à André Malraux, et citée par ce dernier dans Le Miroir des Limbes-II. La corde et les souris, Picasso raconte cette visite et la révélation qu’il eut en découvrant les œuvres africaines qui y étaient exposées.
Picasso écrit à Malraux.
« On parle toujours de l’influence des Nègres sur moi. Comment faire? Tous, nous aimions les fétiches. Van Gogh dit : l’art japonais, on avait tous ça en commun. Nous, c’est les Nègres. Leurs formes n’ont pas eu plus d’influence sur moi que sur Matisse. Ou Derain. Mais pour eux, les masques étaient des sculptures comme les autres. Quand Matisse m’a montré sa première tête nègre il m’a parlé d’art égyptien.
Quand je suis allé au Trocadéro, c’était dégoûtant. Le marché aux Puces. L’odeur. J’étais tout seul. Je voulais m’en aller. Je ne partais pas. Je restais. Je restais. J’ai compris que c’était très important : il m’arrivait quelque chose, non ?
Les masques, ils n’étaient pas des sculptures comme les autres. Pas du tout. Ils étaient des choses magiques. Et pourquoi pas les Egyptiens, les Chaldéens ? Nous ne nous en étions pas aperçu. Des primitifs, pas des magiques ! Les Nègres, ils étaient des intercesseurs, je sais le mot en français depuis ce temps-là. Contre tout ; contre des esprits inconnus, menaçants. Je regardais toujours les fétiches. J’ai compris : moi aussi, je suis contre tout. Moi aussi, je pense que tout, c’est inconnu, c’est ennemi. Tout ! pas les détails : les femmes, les enfants, les bêtes, le tabac, jouer … mais le tout ! J’ai compris à quoi elle servait, leur sculpture, aux Nègres. Pourquoi sculpter comme ça, et pas autrement. Ils étaient pas cubistes, tout de même ! Puisque le cubisme, il n’existait pas. Sûrement, des types avaient inventé les modèles, et des types les avaient imités, la tradition, non ? Mais tous les fétiches, ils servaient à la même chose. Ils étaient des armes. Pour aider les gens à ne plus obéir aux esprits, à devenir indépendants. Des outils. Si nous donnons une forme aux esprits, nous devenons indépendants. Les esprits, l’inconscient (on n’en parlait pas encore beaucoup), l’émotion, c’est la même chose. J’ai compris pourquoi j’étais peintre.
Tout seul dans ce musée affreux, avec des masques, des poupées peaux-rouges, des mannequins poussiéreux. Les Demoiselles d’Avignon ont dû arriver ce jour-là, mais pas du tout à cause des formes : parce que c’était ma première toile d’exorcisme, oui ! »
André Malraux, Le Miroir des Limbes – II. La corde et les souris, 1976
Pourquoi tout le monde parle de l’art contemporain africain ?
Florissant, croissant, essor fulgurant … tels sont des mots que l’on entend lorsque le sujet du marché de l’art contemporain africain est évoqué. La hausse des résultats des ventes aux enchères est, bien évidemment, l’une des raisons, mais ce n’est pas tout. De plus en plus d’artistes africains obtiennent des expositions individuelles, de nouvelles foires d’art africain voient le jour, des musées élargissent leurs collections et organisent des vernissages pour des artistes africains, et de nouveaux musées de l’art contemporain africain ouvriront leurs portes bientôt.
Tout ceci est en train de donner une très grande visibilité à l’art contemporain africain en Europe et aux États-Unis ainsi qu’en Afrique, où des initiatives sont en cours visant à construire un marché et un écosystème locaux, permettant de maintenir cette dynamique dans la durée.
Les ventes aux enchères.
Ayant décidé que Bonhams ne doit plus avoir le monopole sur ce marché en plein essor, Sotheby’s lancera sa première vente d’art moderne et contemporain africain en mai 2017. Hannah O’Leary, qui est à la tête du nouveau Département d’Art Moderne et Contemporain d’Afrique chez Sotheby’s après dix ans dans un poste similaire chez Bonhams, dit que le but est de miser sur “cet énorme potentiel inexploité” et d’établir “un profil important dans ce domaine.” Cette décision de Sotheby’s indique sa forte conviction que ce marché est loin d’avoir atteint son sommet.
Les résultats globaux des quatre ventes d’art africain de Bonhams en 2016 n’ont rien fait pour ébranler cette conviction. Par exemple, leur vente “Africa Now – Modern Africa” à Londres le 25 mai 2016 a rapporté un total de plus de 2 millions de livres, soit le double de l’année précédente, avec plusieurs nouveaux records. Le top 10 des lots vendus était des œuvres de Ben Enwonwu, El Anatsui, et Yusuf Grillo, vendues entre 50 000 et 218 500 livres, soit le double, voire le triple de leurs estimations.
Des prix bien plus élevés, parfois supérieurs à un million de dollars, payés pour des œuvres d’artistes reconnus tels que El Anatsui, Julie Mehretu et William Kentridge, à côté de celles d’autres artistes contemporains connus, deviendront également monnaie courante.
Au cours des quatre dernières années, la valeur de l’art africain a augmenté de 200 %, et les ventes aux enchères d’art moderne et contemporain africain au niveau mondial ont totalisé 22,6 millions de dollars. En 2016, les ventes d’art contemporain africain ont augmenté de 20 % environ.
De tels chiffres pourraient également tenter Phillips à entrer dans le jeu. Arnold Lehman, ancien directeur du Brooklyn Museum (connu pour l’importance qu’il accorde à l’art contemporain africain), s’est rendu en Afrique du Sud en mission de reconnaissance pour leur compte.
De plus petites maisons de vente aux enchères profitent également de ce marché. En France, Piasa organisera sa troisième vente d’art contemporain africain, “Origins and Trajectories”, à Paris, le 17 novembre 2016, présentant les œuvres de 50 artistes africains et mettant en relief leur avant-gardisme plutôt que “l’altérité” de l’art africain. Aspire Art Auctions, une nouvelle maison de vente installée à Johannesburg et spécialisée en art historique, moderne et contemporain, tiendra sa première vente le 31 octobre de cette année, avec des œuvres d’artistes africains émergeants et établis. Fondée en réponse à la forte croissance du secteur artistique en Afrique du Sud, Aspire ouvrira un bureau à Cape Town au mois de novembre et tiendra sa première vente là-bas au mois de mars 2017.
Les foires d’art.
Il y a eu de nombreuses premières dans le milieu des foires d’art en 2016.
À l’Armory Show, qui a eu lieu à New York du 3 au 6 mars 2016, “Focus : African Perspectives a été consacrée au “développement artistique et des récits multiformes d’artistes africains et de la Diaspora.” C’était la première fois que cette partie de la foire, dont la participation est sur invitation, mettait en lumière l’art de l’Afrique subsaharienne, avec huit des 14 artistes représentés par des galeries africaines, parmi lesquelles Blank Projects, Whatiftheworld et Smac de Cape Town, qui ont participé en présentant des expositions individuelles.
La quatrième édition de la 1:54 Contemporary African Art Fair a eu lieu à Somerset House à Londres début octobre, suite à la seconde 1:54 de New York en mai 2016. Servant de vitrine à plus de 130 artistes, à la fois nouveaux et connus, et de 40 galeries (16 d’entre elles basées en Afrique), cette édition de la foire était trois fois plus grande que la première. Cette représentation plus conséquente a aidé à atteindre l’un de ses objectifs : montrer qu’il n’y a pas une seule “esthétique africaine”, mais plutôt une multiplicité de visions artistiques et des formes d’expression, essentielles au maintien de l’intérêt pour l’art contemporain africain. Alors que moins de galeries sud-africaines se sont déplacées cette fois à Londres, cinq galeries d’Afrique du Nord étaient présentes, un nombre relativement important pour un événement international. Des galeries du Ghana, d’Éthiopie et d’Égypte figuraient parmi les 17 qui participaient pour la première fois.
Prochainement à Paris, qui cherche à rivaliser avec Londres comme la Mecque de l’art contemporain africain, se tiendra AKAA (Also Known as Africa). C’est la première foire d’art consacrée à l’art contemporain et au design africains organisée dans la capitale française. Vingt-neuf galeries représentant quelques 115 artistes ont été invitées à participer à cette édition inaugurale, qui aura lieu du 11 au 13 novembre 2016. Des poids lourds tels que Galerie Vallois (Paris), October Gallery (Londres), ArtCo (Allemagne) et l’Atelier 21 seront là ainsi que Galerie 127 (Marrakech) et First Floor Harare (Zimbabwe), qui sont souvent présentes aux foires internationales.
Victoria Mann, fondatrice et directrice d’AKAA, explique que le milieu de l’art en Afrique a toujours été compris d’après des discours occidentaux. Elle insiste, cependant, que les origines de l’art africain ne définissent pas nécessairement les liens avec l’Afrique. AKAA voit l’Afrique comme “fluide, avec des artistes et designers qui travaillent à l’intérieur et à l’extérieur de [ses] frontières … tous contribuant à cette fluidité.” Cette notion de “fluidité” s’applique également à l’interaction entre les arts et le design, une symbiose fertile, révélée par la présence de ce dernier dans cette foire.
Les biennales en Afrique, comme celles à Casablanca, à Dakar, à Kampala et à Bamako, grandissent et améliorent leur réputation, et la liste de foires d’art en Afrique se rallonge.
FNB Joburg Art Fair a eu lieu début septembre 2016, avec 90 galeries et organisations venues de 17 pays africains et européens ainsi que des États-Unis. Loin d’être une nouvelle venue – c’était sa neuvième édition – elle a mis en avant pour la première fois l’Afrique de l’Est, avec des œuvres d’artistes de grande renommée du Burundi, du Kenya, de Rwanda, d’Éthiopie, de la Tanzanie, d’Ouganda, de la Somalie, du Soudan et, bien sûr, de l’Afrique du Sud. Il convient également de noter que FNB Joburg a fait un grand effort cette année – et avec beaucoup de succès – pour se distinguer et relever le défi lancé par la Cape Town Art Fair, dont le but est de devenir, avec le soutien de sa société mère Fiero Milano, grand spécialiste en expositions, l’événement le plus important dans son genre en Afrique du Sud et sur le continent.
On peut noter aussi qu’un nouveau quartier culturel voit le jour à Johannesburg. Des restaurants, des boutiques design proposant des produits haut de gamme, et des antennes des galeries Smac et Whatiftheworld, basées à Cape Town, s’installent dans un ancien immeuble de bureaux rénové dans le quartier résidentiel de Rosebank, au centre de Johannesburg. D’autres espaces d’art vont être créés aussi dans ce quartier, où les galeries Everard Read et Circa sont déjà présentes.
La Cape Town Art Fair (CTAF) se positionne comme une foire d’art internationale majeure qui “amènera l’art contemporain africain au monde, et le monde à Cape Town.” S’étant déroulée dans la ville où se trouvent les plus importantes galeries d’Afrique, elle a accueilli 40 galeries et plus de 130 artistes en février dernier. La CTAF compte s’agrandir et connaître encore plus de succès en 2017, quand elle aura lieu en même temps que le Gala du Zeitz MOCAA, qui précédera l’inauguration du Zeitz Museum of Contemporary Art Africa en l’automne (voir ci-dessous). L’objectif de Cape Town est de devenir un lieu, voire le lieu international incontournable pour l’art contemporain africain, et la CTAF va certainement l’aider à l’atteindre.
Ailleurs en Afrique, la première édition d’ART X Lagos se déroulera du 4 au 6 novembre 2016. Elle présentera des galeries du Nigéria, d’autres pays d’Afrique et de la Diaspora (Goodman Gallery et Stevenson Gallery d’Afrique du Sud seront présentes, ainsi que la nouvelle Galerie 1957 du Ghana (voir ci-dessous)), exposant plus de 45 artistes émergents ou reconnus. Un autre nouveau venu est la foire internationale Art Accra au Ghana, qui aura lieu du 8 au 10 décembre 2016. Elle présentera 25 galeries d’Afrique et d’ailleurs. Ses organisateurs la caractérisent comme “un excellent port d’ancrage pour la communauté de collectionneurs d’art qui souhaitent explorer le paysage du marché de l’art en Afrique.” Les collectionneurs mettront-ils le cap vers ce nouveau port ? Nous le saurons bientôt.
Par ailleurs, Accra accueille une nouvelle galerie. Marwan Zakhem, homme d’affaires et collectionneur, a ouvert en mars 2016 la première galerie d’art commerciale à Accra. La Gallery 1957 se spécialise en art contemporain africain avant-gardiste. “Je souhaitais créer une plate-forme commerciale pour des artistes d’ici et leur fournir davantage d’opportunités, de manière à ce qu’ils n’aient pas besoin de partir à l’étranger pour poursuivre leurs carrières.”
L’enjeu à présent est de savoir si ce nouveau projet connaîtra le même succès que, par exemple, la Galerie MOMO à Johannesburg. Fondé en 2002 par Monna Mokoena, dont la formation juridique a été surpassée par son amour pour l’art, MOMO expose des œuvres d’art avant-gardistes d’artistes locaux et internationaux. La galerie a ouvert aussi un nouvel espace à Cape Town.
Les galeries – la même tendance reflétée.
De grandes rétrospectives et des expositions individuelles en 2016 sont toutes deux des reflets du dynamisme du marché de l’art contemporain africain et des moteurs pour son développement.
La liste des expositions individuelles dans les galeries est longue, bien plus longue que lorsque des galeries bien connues en Afrique du Sud, telles Stevenson et Goodman, ou celle de Jack Shainman à New York, les organisaient déjà en pionnières au niveau local. Il convient de signaler en particulier les expositions dans des galeries de renom à New York et Londres, qui témoignent de la réputation grandissante d’artistes contemporains africains sur la scène internationale. Parmi elles sont la première exposition solo à New York de Nicolas Hlobo chez Lehmann Maupin, l’exposition du sculpteur Serge Alain Nitegeka chez Marianne Boesky Gallery, la première exposition en Grande Bretagne d’Eddy Kamuanga Illunga, chez October Gallery, Julie Mehretu chez Marianne Goodman à New York et Romuald Hazoumè chez Gagosian au Bourget (Paris). Parallèlement à ces expositions sont d’autres dans une douzaine de galeries à Londres spécialisées dans l’art contemporain africain (par exemple, Jack Bell et Tiwani Contemporary) qui cherchent à attirer les collectionneurs venus à Londres pour Frieze et 1:54.
Parmi les grandes rétrospectives figurent une exposition du photographe malien Seydou Keita au Grand Palais à Paris ainsi que la première grande exposition individuelle au Royaume-Uni du compatriote de Keita, le photographe Malick Sidibé, qui a commencé à Somerset House pendant la 1:54 African Art Fair en octobre et qui se poursuivra jusqu’au 15 janvier 2017.
Les Musées.
Selon Giles Peppiate, directeur du Département d’Art moderne et contemporain africain chez Bonhams : “Lorsque la Tate, le Smithsonian et d’autres institutions semblables commencent à présenter des expositions d’art contemporain africain, nous savons que quelque chose de particulier et de merveilleux se passe ; qu’il y a du changement dans l’air”.
La preuve la plus convaincante de ce “changement dans l’air” n’est autre que la création d’un nouveau musée dédié à l’art contemporain africain. L’année prochaine, le Zeitz Museum of Contemporary Art Africa, le plus grand musée du monde dédié à l’art contemporain africain, ouvrira ses portes à Cape Town. Installé dans l’historique Grain Silo, un édifice “icône” de 57m de haut, situé sur le front de mer de la ville, le Zeitz MOCAA aura une surface de plus de 9500m² sur neuf étages, avec 6000m² d’espace d’exposition, ce qui en fera l’un des principaux musées d’art contemporain au monde. La mission de cette nouvelle institution à but non lucratif sera de recueillir, préserver, exposer et mener de la recherche sur l’art contemporain avant-gardiste de l’Afrique et sa diaspora. Mark Coetzee, directeur général et conservateur en chef du musée, dit : “Pour le Zeitz MOCAA, on a repensé le musée dans un contexte africain : célébrer une Afrique qui préserve son propre patrimoine culturel, qui écrit sa propre histoire et qui se définit en ses propres termes.”
Voilà pour l’art contemporain africain dans ce numéro d’ArtBeat. Mais rendez-vous bientôt ici pour d’autres nouvelles sur le très dynamique monde de l’art contemporain. 2017 promet d’être encore une année exceptionnelle !