La découverte de Picasso en 1907…
Au début du XXème siècle, les artistes européens découvrent une nouvelle source d’inspiration artistique en provenance d’Afrique. Bouleversé face aux masques et figurines du British Museum qu’il découvre pour la première fois en 1906, André Derain écrit à Matisse pour lui faire part de son émerveillement face à l’expressivité de ces masques qui lui apportent une nouvelle source d’inspiration artistique.
Une rencontre sacrée.
Contrairement à nombre de leurs contemporains, Derain et Matisse, abordent ces masques et sculptures comme de véritable œuvres d’art d’une grande puissance et non comme de simples curiosités exotiques. Ils transmettent leur enthousiasme à un autre artiste : Pablo Picasso. L’influence de l’art africain commence à poindre alors dans le travail de Picasso, mais c’est seulement l’année suivante, en 1907, que son approche artistique sera bouleversée par ces formes « magiques » et « sacrées » venant d’Afrique.
Au cours du printemps 1907, poussé par Derain, Picasso visite le Musée Ethnographique du Trocadéro. Dans une lettre adressée à André Malraux, et citée par ce dernier dans Le Miroir des Limbes-II. La corde et les souris, Picasso raconte cette visite et la révélation qu’il eut en découvrant les œuvres africaines qui y étaient exposées.
Picasso écrit à Malraux.
« On parle toujours de l’influence des Nègres sur moi. Comment faire? Tous, nous aimions les fétiches. Van Gogh dit : l’art japonais, on avait tous ça en commun. Nous, c’est les Nègres. Leurs formes n’ont pas eu plus d’influence sur moi que sur Matisse. Ou Derain. Mais pour eux, les masques étaient des sculptures comme les autres. Quand Matisse m’a montré sa première tête nègre il m’a parlé d’art égyptien.
Quand je suis allé au Trocadéro, c’était dégoûtant. Le marché aux Puces. L’odeur. J’étais tout seul. Je voulais m’en aller. Je ne partais pas. Je restais. Je restais. J’ai compris que c’était très important : il m’arrivait quelque chose, non ?
Les masques, ils n’étaient pas des sculptures comme les autres. Pas du tout. Ils étaient des choses magiques. Et pourquoi pas les Egyptiens, les Chaldéens ? Nous ne nous en étions pas aperçu. Des primitifs, pas des magiques ! Les Nègres, ils étaient des intercesseurs, je sais le mot en français depuis ce temps-là. Contre tout ; contre des esprits inconnus, menaçants. Je regardais toujours les fétiches. J’ai compris : moi aussi, je suis contre tout. Moi aussi, je pense que tout, c’est inconnu, c’est ennemi. Tout ! pas les détails : les femmes, les enfants, les bêtes, le tabac, jouer … mais le tout ! J’ai compris à quoi elle servait, leur sculpture, aux Nègres. Pourquoi sculpter comme ça, et pas autrement. Ils étaient pas cubistes, tout de même ! Puisque le cubisme, il n’existait pas. Sûrement, des types avaient inventé les modèles, et des types les avaient imités, la tradition, non ? Mais tous les fétiches, ils servaient à la même chose. Ils étaient des armes. Pour aider les gens à ne plus obéir aux esprits, à devenir indépendants. Des outils. Si nous donnons une forme aux esprits, nous devenons indépendants. Les esprits, l’inconscient (on n’en parlait pas encore beaucoup), l’émotion, c’est la même chose. J’ai compris pourquoi j’étais peintre.
Tout seul dans ce musée affreux, avec des masques, des poupées peaux-rouges, des mannequins poussiéreux. Les Demoiselles d’Avignon ont dû arriver ce jour-là, mais pas du tout à cause des formes : parce que c’était ma première toile d’exorcisme, oui ! »
André Malraux, Le Miroir des Limbes – II. La corde et les souris, 1976