L’esprit libérateur de Robert Rauschenberg
“L’art est une expérience destinée à permettre à chaque individu d’être lui-même et de se trouver.” – Robert Rauschenberg
Précédant la grande et large rétrospective de Robert Raschenberg qui vient de débuter au Tate Modern de Londres le 1re décembre, l’exposition du Ullens Center for Contemporary Art (UCCA) de Pékin, l’été dernier, offrait un regard différent sur le travail de l’artiste. Rauschenberg in China présentait essentiellement une seule et unique œuvre, « The ¼ Mile or 2 Furlong Piece », qui n’avait pas été exposée depuis 1999. D’une longueur d’environ 300 mètres (la distance entre son lieu de résidence et son studio sur l’île de Captiva, en Floride), cette œuvre est constituée de 190 pièces, en deux ou trois dimensions, installées chronologiquement sur des murs zigzaguant au travers du grand hall de l’UCCA.
Cette série d’œuvres, produites entre 1981 et 1998, sont une forme de synthèse de sa carrière ; une forme de combinaison qui éclipse (du moins par sa taille) ses célèbres « Combines » créés plus tôt dans sa carrière. Cette installation, témoignage de la débordante créativité de l’artiste, inclut bien évidemment des pièces dans lesquelles il a travaillé dans « l’intervalle séparant l’art de la vie » comme il aimait le dire, incorporant dans ses peintures des objets de la vie quotidienne pour produire des compositions esthétiques et détonantes. Par ailleurs, les composants divers et variés de « The ¼ Mile » raconte leur propre réalité : l’évolution de l’art de Rauschenberg, en constante progression et aux techniques multiples.
L’exposition à l’UCCA a révélé également une autre facette du désir de Rauschenberg d’assembler, de combiner. Il a débuté « The ¼ Mile » l’année avant son premier voyage en Chine. Durant ce voyage, son expérience, associée à sa conviction que la culture représente un moyen d’unir les hommes et de promouvoir la compréhension mutuelle et la paix, l’amena à penser le projet Rauschenberg Overseas Culture Interchange (ROCI). Le ROCI était une initiative financée par l’artiste, par laquelle il a créé et organisé des expositions dans 10 pays entre 1984 et 1991 : Mexique, Chili, Vénézuela, Chine, Tibet, Japon, Cuba, URSS, Malaisie et Allemagne.
L’exposition ROCI China à Pékin, tenue en 1985, a attiré près de 300 000 visiteurs et a profondément influencé le développement de l’art moderne en Chine, et en particulier le courant ’85 New Wave.
Lorsque l’on parle de Rauschenberg, on l’associe souvent à la notion de « permission », à cet « effet libérateur » qu’il a pu avoir sur les artistes. L’effet des œuvres de Rauschenberg et de son ouverture d’esprit ne fait pas de doute. Découvrir ces pièces a non seulement « permis » aux artistes de combiner différents médiums dans leur travail, mais aussi de suivre leur propre impulsion créatrice tout en encourageant leurs pairs à faire de même.
Rauschenberg et le Black Mountain College.
L’ouverture, l’interaction et l’encouragement mutuel, sont des notions que Rauschenberg a lui-même puisé dans sa formation artistique unique. Après avoir brièvement étudié à l’Art Institute de Kansas City et à l’Académie Julian de Paris, il s’inscrit en 1948 au Black Mountain College, en Caroline du Nord (voir article dans la catégorie « Looking Back »).
Cette université progressiste a accueilli beaucoup des plus grands artistes peintres, compositeurs, poètes ou designers américains. Le Black Mountain College était fondé sur une approche scolaire interdisciplinaire, qui accordait autant d’importance à chaque discipline : peinture, tressage, sculpture, poterie, poésie, musique ou danse. Le professeur de Rauschenberg, l’artiste et enseignant allemand Joseph Albers, était convaincu que l’apprentissage demandait une interaction directe avec la vie, d’être familier avec les propriétés physiques du monde matériel qui nous entoure. Il encourageait aussi ses étudiants à travailler avec une large variété de matériaux.
Albers imposait une discipline sévère dans ses cours, et Rauschenberg le décrivait comme l’influençant à faire « l’exact opposé » de ce qu’on lui avait appris. Malgré sa pédagogie très stricte, l’importance qu’accordait son mentor aux matériaux dans le processus créatif et à l’intégration du monde réel et de la vie dans l’art, semble avoir fait écho avec la sensibilité, l’intuition et les instincts de l’artiste.
Et bien que la manque de confiance en soi ne soit généralement pas associé à Rauschenberg, cette influence lui a peut-être donné le courage d’adopter les médiums qui définiront plus tard son travail – collages d’images provenant de magazines et de journaux, photos, vêtements, tissus, objets, carton, ferraille – des objets de la vie quotidienne qu’il a associé d’une manière radicalement innovante à partir des années 1950.
La longue amitié de Rauschenberg avec le compositeur John Cage et le chorégraphe Merce Cunningham, qui enseignaient dans la même université et partageant tous deux son désir d’intégrer la vie quotidienne dans l’art, remonte au temps de Black Mountain. Rauschenberg a déclaré que Cage avait eu « une remarquable influence » sur sa manière de penser. « Il m’a donné la permission de poursuivre ma réflexion… il était le seul à m’autoriser à pousser ma propre réflexion. »
Cette période passée dans ce coin reculé de la Coraline du Nord, dans une communauté d’artistes et dans un environnement favorisant l’interaction, l’expérimentation, et l’échange vif d’idées, ont été fondamentales dans le développement futur de son art et de l’art contemporain en général. C’était le genre d’expérience libératrice – la « permission donnée » de suivre leurs propres idées, peu importe où elles mèneraient – que d’autres artistes décriront en expliquant l’influence qu’a eu Rauschenberg sur leur art dans les décennies suivantes.
La rétrospective actuelle du Tate Modern, présentant ses œuvres datant de Black Mountain College à sa mort en 2008, se déroulera jusqu’au 2 avril 2017. Elle sera ensuite présentée au Musée d’Art Moderne de New York (du 21 mai au 17 septembre 2017), puis au Musée d’Art Moderne de San Francisco.